lundi 19 mai 2008

Note concernant le projet de loi visant à simplifier la vente des biens indivis

Tamatoa Bambridge, docteur en sociologie, chargé de recherche au CNRS

En résumé ce projet de loi est relatif à une "vente forcée" par adjudication à la demande des 2/3 des indivisaires. Le notaire est chargé de la procédure, signifie aux co-indivisaires l'intention d'aliéner le bien par au moins 2/3 des indivisaires.
En cas d'opposition ou de non réponse après un délai de deux mois, le notaire dresse un PV. Dans ce cas le tribunal peut autoriser, à la demande des indivisaires, l’aliénation d’un bien indivis si celle-ci ne porte pas une atteinte excessive aux droits des autres indivisaires.
La vente se fera par adjudication dans la forme des licitations.

Compte tenu de mon champ d’expertise, je ne peux me prononcer sur ce projet de loi que du point de vue de l’anthropologie juridique. La question posée devient donc : quel serait l’impact de ce projet de texte, s’il était étendu à la Polynésie française, sur les groupements de parenté en Polynésie Française ?

Compte tenu de l’extraordinaire pluralisme culturel et juridique en Polynésie française, et hormis les problèmes strictement juridiques, les situations d’indivision sont complexes en raison :
- de la profondeur des groupements revendiquants (entre 7 et 2 générations) ;
- des biens immobiliers qui font l’objet de revendications (différents selon la profondeurs des groupements et sur lesquels beaucoup d’arrangements à l’échelle locale, ne sont pas connus par l’administration – déficience de la publicité foncière, de la transcription, etc.) ;
- des stratégies des acteurs dans le cadre de ces grandes indivisions ;

Un tel projet serait assimilé à un retour en arrière, celle de la situation des années 1920, lorsque le décret du 22 mars 1923 favorisait la licitation des immeubles plutôt que le partage en nature (texte plusieurs fois modifiés puis abrogé depuis).

A l’époque, le texte sur la licitation avait suscité l’intérêt de grandes compagnies (Société Commerciale de l’Océanie, Caisse du Crédit agricole –devenu la SOCREDO aujourd’hui- etc.) et de certains coindivisaires. Il y eu de nombreux abus qui font toujours l’objet de conflits judiciaires ou qui sont récupérés sur un plan politique.

Aujourd’hui, le texte proposé s’il est étendu à la Polynésie française, risque de produire les mêmes effets car de nombreux indivisaires, voire des souches entières ne sont toujours pas connus.
De plus, le contexte social s’est considérablement aggravé aujourd’hui. Il convient en effet de rappeler que dans les années 1920-1925, la population était peu nombreuse (35 000 personnes) et les terres abondantes. Aujourd’hui, avec 250 000 personnes, on estime que 20% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté (ISPF, 2005) et est, dans les faits déjà sans terre, car dans l’incapacité de faire valoir ses droits ; lorsqu’elle en a, dans les grandes indivisions.

Ce sont vraisemblablement ces personnes là qui seraient les premières victimes du projet de texte. De ce fait, la situation risque de devenir explosive, en cas de vente forcée de biens. Le tribunal et les notaires deviendraient la principale cible d’agitateurs qui exploiteraient la situation sur un plan politique.

De mon point de vue la priorité n’est donc pas là pour la Polynésie française, mais dans celle de a) moderniser l’administration et la gouvernance foncière ; b) favoriser les sorties d’indivision pour l’ensemble des groupements et c) d’organiser légalement cette indivision lorsque les domaines sont vastes et les groupements importants.

Aucun commentaire: